Ouvrages en rivière

Comment gérer les ouvrages pour garantir la préservation de la vie aquatique ?

Indispensables aux activités humaines, les rivières ont été l’objet de nombreuses transformations. Des lavoirs ont été aménagés à des fins sanitaires, des barrages en pierre de moulins ont été construits à des fins artisanales et industrielles, et dès 1960 de nombreux recalibrages ont été réalisés à des fins agricoles. Ces aménagements ont eu un impact cumulé non négligeable sur le fonctionnement naturel des cours d’eau.

Ouvrages en rivière : le contexte historique associé aux moulins de la Bouzanne

Dès le Moyen-Âge, les moulins ont été le support de nombreuses activités de production, l’énergie hydraulique générant une force mécanique pour moudre des graines, traiter des minerais, produire du cuir ou du papier. La vallée de la Bouzanne est jalonnée de nombreux moulins.

« [La Bouzanne] met en activité vingt-quatre moulins à farine, deux moulins à foulon, un fourneau et une papeterie » [1]

Dès le XIXe siècle, l’exploitation de l’énergie hydraulique a été doublée d’une production d’électricité, les turbines remplaçant progressivement les roues à eau. L’apparition de la machine à vapeur et l’utilisation croissante ducharbon dans l’industrie au XVIIIème siècle a significativement réduit la nécessité d’exploiter l’énergie hydraulique, jusqu’au début du XXème siècle, à cette époque la majorité des moulins ont perdu leur fonction productive. Aujourd’hui la plupart des moulins ont été reconvertis en lieux de villégiature, de résidence ou en sites touristiques.

 « Au début des années 1920, il n’existait plus qu’une quinzaine de moulins sur la Bouzanne. […]» [1]. « Les derniers moulins de la Bouzanne encore en activité s’arrêtèrent définitivement quasiment tous dans le milieu des années soixante, excepté celui de Cluis-dessous qui fut actif jusqu’en 1998. »[1]

Sans production associée, les manœuvres d’ouvrage ont été diminuées, limitant d’autant la circulation des eaux, des sédiments et des poissons à certaines périodes de l’année. Une règlementation sur les manœuvres d’ouvrage a été mise en place afin de garantir des conditions de vie et de survie des espèces aquatiques à toute période de l’année et en particulier en période estivale. Aussi, pour les cours d’eau constituant des axes de migration piscicole, une règlementation sur la continuité écologique a été mise en place à partir de 2006 en France (déclinaison de la Directive Cadre Européenne sur l’Eau). La Bouzanne aval est aujourd’hui classée en zone d’action prioritaire pour les anguilles.

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[1] Françoise ROUET, La Bouzanne au fil de ses moulins et de ses meuniers, édition Lancosme Multimédia, pages 16-17

Comment gérer les ouvrages en rivière ?

Tous les propriétaires et gestionnaires d’ouvrages en cours d’eau doivent respecter l’article L.214-18 du Code de l’Environnement, c’est-à-dire respecter le « débit réservé » et maintenir les dispositifs de vannages (pelle, clapet, déversoir automatique) en état de fonctionnement (manœuvrabilité, retrait des débris et encombres).

Article L.214-18 du Code de l’Environnement
(extrait)
« Tout ouvrage à construire dans le lit d’un cours d’eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l’installation de l’ouvrage[…].  Ce débit minimal ne doit pas être inférieur au dixième du module du cours d’eau en aval immédiat ou au droit de l’ouvrage correspondant au débit moyen interannuel […] » ou au débit à l’amont immédiat de l’ouvrage si celui-ci est inférieur. »

De plus, pour améliorer sa gestion, il est préconisé de :

  • Favoriser les écoulements en profondeur.
  • Manœuvrer les vannes de manière alternative.
  • Laisser les vannes ouvertes en cas d’absence prolongée.
Schéma du fonctionnement d’un moulin (source : Charente eaux)

Bien réagir en période d’étiage

L’étiage correspond à la période de plus basses eaux d’un cours d’eau. Lors des périodes d’étiage la gestion des ouvrages est d’autant plus délicate, afin de ne pas perturber la continuité écologique, les propriétaires et gestionnaires sont tenus de :

  • Veiller à respecter le débit réservé ainsi que l’arrêté préfectoral qui réglemente la manœuvre des vannes (arrêtés de gestion de la sécheresse).
  • Prioriser le transit de l’eau par le cours d’eau naturel.
  • Éviter de rejeter une grande quantité de sédiments simultanément pour ne pas provoquer des phénomènes de colmatage en aval.

De plus il est préconisé de :

  • Prioriser les écoulements par les ouvrages situés le plus en amont du site.
  • Favoriser les écoulements sous les pelles pour restituer l’eau plus fraiche du fond de la retenue, et favoriser la continuité écologique.
La Bouzanne en période d’étiage (source : SMABB)

Et en période de crue ?

On appelle « crue » la montée, plus ou moins soudaine, du niveau d’un cours d’eau, due à une hausse de débit. En période de crue, il est fortement conseillé de prendre certaines mesures pour minimiser les risques d’inondation, préserver les ouvrages et maintenir la continuité écologique :

  • Anticiper l’ouverture des vannes avant l’arrivée de la crue et les laisser ouvertes pour ne pas freiner l’écoulement.
  • Favoriser les écoulements de fond pour améliorer le transit sédimentaire, les migrations piscicoles et limiter l’engravement.
  • Limiter les écoulements par-dessus les ouvrages pour éviter les détériorations et l’accumulation d’encombres.
  • Réguler l’ouverture des vannes de manière lente et progressive, en prévenant l’aval en cas d’ouverture soudaine.
  • Nettoyer les dispositifs de régulation après la crue pour les rendre fonctionnels et enlever les encombres.
  • Déléguer la gestion des ouvrages si l’on s’absente de manière prolongée.
La Bouzanne en période de crue (source SMABB)

Après les crues, le bon fonctionnement des dispositifs devra être vérifié et les éventuels encombres amenés par le courant seront enlevés.

Autres droits et devoirs
des gestionnaires et propriétaires d’ouvrage

  • Les droits :

Certains ouvrages sont fondés en titre ou fondés sur titre. L’acquisition foncière de ces ouvrages donne alors accès à un droit d’eau, droit d’exploitation de la force motrice de l’eau. Les droits d’eau doivent être reconnus par l’administration.

  • Les devoirs :

Le règlement d’eau défini par arrêté préfectoral encadre le fonctionnement des moulins, en définissant le niveau légal du seuil, les dimensions des ouvrages, les devoirs du propriétaire en termes de manœuvre et d’entretien, ainsi que le respect du débit réservé à l’aval des ouvrages.

Aussi, certains ouvrages, classés sur des axes prioritaires, doivent être réaménagés et gérés afin de garantir une circulation : les cours d’eau sont classés selon 2 groupes avec des obligations différentes pour les ouvrages définis par l’article L214-17 du Code de l’Environnement. La carte ci-dessous présente la section de la Bouzanne classée en liste 1 et en liste 2.

Carte du bassin versant avec la section en liste 1 et 2 (source : Géonat)

Sur les cours d’eau de la liste 1, il est interdit de construire de nouveaux obstacles à la continuité écologique, et le renouvellement des autorisations pour les installations existantes est soumis à des mesures de préservation du bon état des eaux et des espèces.

Sur les cours d’eau en liste 2, si l’ouvrage n’est pas conforme, le propriétaire doit alors engager des travaux de restauration de la continuité écologique selon l’article L214-17 du Code de l’Environnement. Pour tout conseil technique, le SMABB pourra vous apporter son expertise sur le fonctionnement actuel de votre ouvrage, si nécessaire vous présenter des options d’aménagement et les modalités d’accompagnement.

Article L.214-17 du Code de l’Environnement
(extrait)
« L’autorité administrative établit :
1° Une liste de cours d’eau (…) sur lesquels aucune autorisation ou construction ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s’ils constituent un obstacle à la continuité écologique. »
2° Une liste de cours d’eau (…) dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l’autorité administrative, en concertation avec le propriétaire (…), sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel (…). S’agissant plus particulièrement des moulins à eau, l’entretien, la gestion et l’équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l’accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments (…). »

Qu’est-ce que la continuité écologique ?

Au-delà d’être un flux hydraulique, une rivière charrie des sédiments indispensables à son fonctionnement et au maintien d’une eau de qualité (rafraichissement, oxygénation, stabilité des berges, infiltration de l’eau dans les nappes, …). La rivière est aussi un habitat. Elle abrite des poissons et de nombreux organismes (invertébrés, diatomées). Ces espèces se déplacent, s’y reproduisent et y grandissent en respectant un cycle biologique. La continuité écologique joue un rôle essentiel dans l’équilibre des écosystèmes aquatiques. Elle consiste à permettre la libre circulation de l’eau, des espèces aquatiques etdes sédiments. Elle est donc essentielle à lapréservation des interactions entre les différents habitats et entre les espèces elles-mêmes.

Les impacts des ouvrages sur cours d’eau 

Les ouvrages présents le long des cours d’eau comme les seuils de moulins, les seuils de lavoirs et les déversoirs d’étangs peuvent avoir un impact sur cette continuité écologique. Les ouvrages transversaux sont de diverses hauteurs, parfois bétonnés, avec ou sans vanne manœuvrable, et constituent des obstacles physiques. Ils peuvent être à la source de dysfonctionnements majeurs sur la vie de la rivière sur le plan biologique, physico-chimique et hydro-morphologique.

Les effets d’un seuil sur la continuité écologique (source : SYMAR Val d’Ariège-SMABB)

Ces obstacles en cours d’eau engendrent pour la plupart plusieurs dysfonctionnements sur le milieu aquatique :

  • Obstacle à la migration des poissons : les barrages en rivière peuvent bloquer le déplacement des poissons migrateurs tels que les truites ou les anguilles, entravant ainsi leur cycle de vie et leur reproduction. Selon leur hauteur de chute, les seuils peuvent constituer des barrières physiques infranchissables pour les espèces piscicoles voulant remonter le courant. Ces dernières ne peuvent alors plus rejoindre les zones les plus propices à leur reproduction, ce qui dégrade significativement son succès et remet cause la survie de l’espèce sur certaines zones.
  • Obstacle au transit des sédiments : Les rivières charrient naturellement des sédiments : sables, graviers, limons, blocs, pierres… On appelle l’ensemble des matériaux dans le lit de la rivière son « matelas alluvial ». Il contribue à la stabilité des berges, à la rétention de l’eau dans le sol, à son épuration et constitue un habitat pour de nombreux invertébrés. Ce « substrat » (matériau servant de support physique à des organismes) est essentiel à la reproduction de certaines espèces de poissons comme la truite qui en fait des frayères.
  • Fragmentation des habitats : la présence de barrages peut entraîner une fragmentation des habitats aquatiques en créant des barrières, les espèces sont contraintes de limiter leur territoire. La rivière est alors cloisonnée. Cela peut affecter la diversité spécifique et l’équilibre des écosystèmes en réduisant les opportunités de reproduction et la libre circulation des espèces. Le choix des partenaires étant limité, la diversité génétique l’est aussi, ce qui peut causer le déclin d’une espèce. Les barrages peuvent perturber les interactions entre les espèces prédatrices et leurs proies en altérant les déplacements et par conséquent la distribution des animaux aquatiques entre les milieux. Cela peut déséquilibrer l’écosystème en facilitant la prolifération d’une espèce par rapport aux autres. On peut alors constater des cas de prolifération de la lentille d’eau, de cyanobactéries, ou d’autres espèces invasives comme la Jussie sur certains plans d’eau.  Ce phénomène naturel est amplifié par la fragmentation des habitats.
  • Modification de la ligne d’eau : les barrages modifient l’écoulement naturel des cours d’eau en relevant artificiellement la hauteur d’eau au niveau du seuil. Cela peut modifie les conditions d’écoulement de l’eau (vitesses et hauteurs d’eau), créant une zone profonde, lente, de plat courant. Cela peut avoir pour conséquence, pour plusieurs ouvrages en série, « d’uniformiser les habitats » et favoriser préférentiellement les conditions de vie d’espèces d’eaux stagnantes et plus chaudes (espèces de plans d’eau ou grands cours d’eau de plaine comme la carpe ou le silure). Cette uniformisation est aussi susceptible de favoriser l’expansion des espèces exotiques envahissantes (Jussie, Ragondin). A contrario, les eaux courantes des rivières offrent au milieu une grande diversité d’habitats (eaux fraîches et rapides alternées avec des zones profondes plus lentes, fonds sablonneux, gravières, litières, connexion avec les mares environnantes, …).  
  • Réchauffement et évaporation : Les eaux lentes ou stagnantes sont plus sujettes à l’évaporation et au réchauffement. Plus l’étendue d’eau est exposée à l’ensoleillement, plus l’évaporation générée est forte. L’impact thermique sera plus marqué sur les eaux de surface que sur les eaux du fond de la retenue.
  • Impact cumulé :  L’impact d’un ouvrage se regarde aussi en prenant en compte toutes les retenues présentes sur la rivière en amont et en aval de celui-ci. Les altérations sur le cours d’eau peuvent alors se cumuler et dégrader significativement la qualité d’une rivière.

Pour des explications en vidéo : cliquez-ici ! 

Zoom sur le bassin versant de la Bouzanne

Un diagnostic réalisé par le bureau d’étude Géonat Environnement sur un parcours de plus de 200 km de prospection sur le bassin versant a permis de montrer qu’il existe 528 ouvrages, dont 261 entravent la continuité écologique (voir carte ci-dessous). Les ouvrages problématiques laissent une chute d’eau allant de 50 cm à 1,80 m.

Carte des ouvrages présents sur le bassin versant de la Bouzanne (source : Géonat)

Les actions du SMABB :

Pour réduire les impacts des ouvrages, la loi prévoit des modalités de gestion ou d’aménagement obligatoires, en particulier sur les axes de migration de certaines espèces comme l’Alose, le Saumon Atlantique ou l’Anguille. Lorsque le seuil n’est rattaché à aucun usage, il est fortement conseillé de le retirer de la rivière et de réaménager un écoulement libre. Sinon, tout ouvrage en cours d’eau doit être géré dans le respect de la règlementation sur l’eau.

En lien avec le Contrat Territorial Milieux Aquatiques (CTMA), le SMABB prévoit plusieurs actions de continuité écologique sur le bassin versant. Des solutions adaptées sont recherchées en conciliation avec les usages locaux. Des projets d’effacement d’ouvrage sont dimensionnés là où c’est possible. Sur les linéaires en liste 2, des dispositifs de franchissement spécifiques peuvent être installés (rivière de contournement, passe à bassins successifs ou rampe rugueuse pour certains poissons, échancrures).

Ces actions de continuité écologique sont couplées à d’autres techniques de restauration des cours d’eau :  des apports de matériaux alluvionnaires (recharges granulométriques), des remises en fond de vallée, du reméandrage et plus ponctuellement des aménagements d’abreuvoirs stabilisés.